3 mars 2023 - La coalition Le Congo n’est pas à vendre (CNPAV) persiste et signe : la société Ventora de Dan Gertler a empoché plus de $US 60 millions de dollars depuis qu’elle a signé un accord avec la République Démocratique du Congo en février 2022.1  Puisque cette affirmation de notre porte-parole a provoqué une controverse dans les médias, chez certains officiels congolais et une menace de poursuites judiciaires de Ventora, nous avons revérifié nos chiffres. Cela nous permet de confirmer que le chiffre de $US 60 millions n’est ni une faute, ni une exagération; c’est une estimation minimaliste car la réalité est pire.

Pour rappel, en 2021, le CNPAV a mené une enquête financière sur les pertes causées par les transactions opaques et frauduleuses avec Dan Gertler. La coalition a estimé que ces transactions avaient déjà fait perdre $US 2 milliards au Congo. En plus, le Congo continuerait à perdre un total de $US 1,8 milliards au titre de royalties dans trois grands projets miniers importants : Kamoto Copper Company (KCC), Mutanda et Metalkol. M. Dan Gertler continue à gagner plus de $US 200 000 par jour en moyenne grâce à ces royalties, et ce pour une période allant jusqu’en 2039.

En février 2022, le gouvernement Congolais a annoncé un accord avec le groupe Ventora de M. Gertler et l’a présenté comme bénéfique pour le pays. La lecture de cet accord est toute autre car il légitimise l'acquisition frauduleuse des royalties dans les 3 projets miniers cités ci-dessus. Sur base de la publication partielle de l’accord, le CNPAV constate avec regret que :

• Le Congo ne recevra aucune compensation pour les $US 2 milliards de pertes 2 ;

• Le groupe Ventora collectera des royalties jusqu’à l’épuisement des gisements de KCC (~2039), Mutanda (~2034) et Metalkol (~2039) 3 ;

• Le gouvernement paiera $US 240,7 millions pour les actifs pétroliers et miniers prétendument récupérés4 , un prix qui pourrait dépasser leur juste valeur ; et

• La Gécamines remboursera à Ventora un prêt douteux de 192 millions EUR5 .

Pour toutes ces raisons, le CNPAV avait appelé le gouvernement à renégocier cet accord afin de récupérer tous les biens mal acquis et compenser les pertes passées. Au lieu de renégocier, le gouvernement et la présidence de la République ont mené un plaidoyer auprès des autorités américaines pour lever les sanctions contre M. Gertler, comme promis dans l’accord6 .

Ce mardi 1er mars, le porte-parole du CNPAV, Jean Claude Mputu a rappelé dans un entretien avec Actualité.cd que Gertler continue à toucher les royalties, les estimant à 60 millions de dollars depuis la signature de l’accord. Ceci a provoqué des menaces de poursuites pour diffamation de la part de la société Ventora - citant un chiffre de $US 2 milliards, qui portait sur les pertes enregistrées par la RDC avant la signature de l’accord. Par ailleurs, le Directeur de cabinet adjoint du Président de la République, M. André Wameso, a affirmé que le chiffre de $US 60 millions était « totalement faux », en n’offrant pas de chiffre alternatif concret quant à l’argent empoché par Ventora.

Ceci nous a poussé à démontrer avec précision les royalties destinés au groupe Ventora pour l’année 20227 . Nous arrivons aux résultats suivants (détails en annexe) :

Estimation royalties 2022

KCC :               $US 68,5 millions

Mutanda:         $US 23,3 millions

Metalkol:          $US 39,6 millions

Total:                $US 131,7 millions

Ainsi, les royalties que M. Dan Gertler a touché en 2022 ne sont pas de $US 60 millions, mais de $US 131,7 millions, soit plus du double8 .

Dans sa réaction à la presse, le Directeur de cabinet adjoint du Président, M. Wameso, insiste que nos calculs devraient prendre en compte le fait que le groupe Ventora ait promis une compensation supplémentaire pour les royalties de KCC de l’ordre de EUR 249 millions9 . Selon lui, ce chiffre représente la valeur actuelle de royalties annuelles évaluées à $US 30 millions de royalties sur 20 ans.

Même dans l’hypothèse d’une déduction de $US 30 millions des $US 131,4 millions ci-haut, nous restons avec une estimation dépassant les $US 100 millions de royalties au total pour Ventora en 2022. Pour rappel, selon le CNPAV, c’est l’ensemble des royalties de KCC, Mutanda et Metalkol qui devraient revenir au Congo, et non une compensation partielle pour un des trois projets seulement. Nous rappelons avoir amplement documenté l’acquisition illicite et frauduleuse de ces royalties par M. Dan Gertler.

Par ailleurs, la réalité est bien plus complexe. Nous rappelons à l’opinion publique et aux médias que le Congo ne touchera pas ces EUR 249 millions en liquide. En effet, selon l’accord, EUR 192 millions seront déduits des EUR 249 millions au titre de remboursement d’un prêt dont CNPAV dénonce l’opacité depuis 2020. Ainsi, il ne reste plus que EUR 57 millions en faveur du Congo et non EUR 249 millions.

Par ailleurs, l’accord indique que Ventora compte utiliser non pas son propre argent, mais l’argent du Congo pour rembourser ces 57 millions EUR restants. En effet, un an après la signature de l’accord (soit depuis une semaine), Ventora a le droit d’exiger que le Congo paie une somme supplémentaire de EUR 240,7 millions + 6% d’intérêts (soit EUR 154,4 millions) pour les “investissements” dans les blocs pétroliers et miniers, dont nous avons déjà questionné le montant. Ce sont ces EUR 240,7 millions que Ventora utilisera pour payer les EUR 57 millions restants10 . Ventora reversera alors EUR 57 millions + 6% d’intérêts (soit EUR 60,42 millions) à la Gécamines et gardera un solde de EUR 194,4 millions (voir annexe). Converti en dollars américains, le solde de ces dettes croisées revient à $US 206 millions pour Ventora.

Ainsi, en exécution de l’accord que nous dénonçons depuis un an, le groupe Ventora empoche non seulement des royalties estimées à $US 131,7 millions pour l’année 2022 mais aussi $US 206 millions comme solde des dettes croisées. Ceci revient à un total de $US 337,7 millions destinés à Ventora depuis la signature du Protocole d’Accord. Selon l’accord, Ventora est en droit d’exiger cet argent même si le Congo n’arrive pas à revendre les actifs pétroliers et miniers récupérés11 .

Ainsi, la Coalition “Le Congo n’est pas à vendre” estime que les menaces de Ventora font partie d’une stratégie visant à arrêter son combat pour parvenir à un accord bénéfique au peuple congolais. Il en est de même pour la lettre que le CNPAV a reçu de M. Gertler le 7 février 2023, dans laquelle il sollicitait que notre coalition cesse de s’opposer à la levée des sanctions contre lui. Nous lui avons fait part de nos préoccupations et restons dans l’attente de sa réponse. Puisque la société Ventora évoque ces correspondances dans son communiqué de presse tout en dénaturant leur contenu, nous nous réservons le droit de les rendre publiques par souci de transparence.

Nous réitérons qu’il s’agit d’une stratégie qui vise à détourner l’attention du public et des institutions de ce qui compte vraiment, notamment que le Congo continue à subir des pertes énormes en dépit des sanctions américaines et qu’il faut que cela cesse.

Ainsi, nous exhortons les autorités congolaises à :

• Exiger la compensation des pertes découlant des transactions passées ;

• Exiger la rétrocession de l’ensemble des biens mal acquis par M. Gertler et ses sociétés affiliées et ce, sans contrepartie financière ;

• Instruire la conclusion de l’enquête sur le présumé détournement du prêt de 192 millions EUR, enquête ouverte en 2020 sans issue claire ;

• La publication des termes de références et des annexes qui font partie intégrante du protocole d’accord du 24 février 2022, notamment l’annexe relative à la documentation définitive, ainsi que les 5 accords transactionnels du 16 mars 2022 ; et

• Lever les condamnations à mort de nos deux collègues Gradi Koko et Navy Malela après qu’ils aient relevé des transactions financières suspectes impliquant M. Gertler au sein d’Afriland Bank.

Les richesses naturelles de la RDC doivent bénéficier aux citoyens congolais : “Tous les Congolais ont le droit de jouir des richesses nationales. L’Etat a le devoir de les redistribuer équitablement et de garantir le droit au développement.” (Article 58, Constitution de la RDC)

Annexe : détail des calculs

1. Royalties destinées à Ventora en 2022

Les royalties équivalent à un pourcentage du chiffre d’affaires de trois projets : KCC, Mutanda et Metalkol. Les formules de calcul sont définies de manière plus précise dans les trois contrats, mais la méthodologie peut être résumée comme ceci :

1. Calculer le chiffre d’affaires des trois projets sur base de leur production de cuivre et de cobalt et des cours des métaux ;

2. Déduire les frais déductibles ; et

3. Appliquer le taux des royalties prévu dans les contrats.

Dans notre enquête financière, nous avions délibérément utilisé des hypothèses conservatrices lors de nos calculs. Par exemple, pour les cours du cuivre et du cobalt, nous avions pris la moyenne des taux les plus bas de chaque année. En d’autres termes, en prenant des hypothèses plus réalistes, les pertes pour le Congo seraient plus importantes.

Pour les calculs de 2022, nous nous basons sur les chiffres de production publiés par les sociétés mères, notamment Glencore pour le cas de KCC et de Mutanda Mining, et Eurasian Resources Group pour le cas de Metalkol, et sur les cours des métaux du London Metal Exchange. Pour le cuivre, nous avons utilisé le cours moyen de l’année. Pour le cobalt, nous avons utilisé le cours le plus bas de l’année, puisque le cobalt est contenu dans de l'hydroxyde et nécessite un traitement supplémentaire avant d’être utilisé dans les produits semi-finis. Ceci nous donne les calculs suivants :

2. Dettes croisées entre Ventora et les parties congolaises

Selon le protocole d’accord partiellement publié, Ventora doit de l’argent à la RDC, notamment à la Gécamines, et la RDC doit de l’argent à Ventora.

Comme l’a rappelé M. Wameso, Ventora doit payer EUR 249 millions à la Gécamines comme compensation pour l’acquisition des royalties de KCC. Cela représente selon lui la valeur présente nette de $US 30 millions de royalties de KCC par an, soit un total de EUR 678 millions sur 20 ans. (Selon nos enquêtes, ceci pourrait être une sous-estimation de la valeur des royalties de KCC.)

Or ce montant de EUR 249 millions ne parviendra pas en liquide à la Gécamines. En effet, selon les termes de l’accord, Ventora déduira de ce montant un total de EUR 192 millions, au titre de remboursement d’un prêt qu’une société affiliée à Dan Gertler avait accordé à la Gécamines en 2017, quelques semaines avant les sanctions contre Dan Gertler. Ainsi, il ne reste plus que EUR 57 millions en faveur de la Gécamines et non EUR 249 millions. Notons que le CNPAV dénonce l’opacité de ce prêt et de ces bénéficiaires ultimes depuis plusieurs années.

Par ailleurs, le Congo promet de payer EUR 240,7 millions à Ventora pour les “investissements” dans les blocs pétroliers et miniers. Le CNPAV a déjà questionné le montant, estimant qu’il n’y avait pas de preuve indépendante de ces investissements. Ce sont pourtant ces EUR 240,7 millions que Ventora utilisera pour payer les EUR 57 millions restants. En effet, un an après la signature de l’accord, Ventora a le droit d’exiger que le Congo paie les 240,7 millions assortis de 6% d’intérêts par an, soit un total de EUR 254,4 millions au 24 février 2023. Le protocole prévoit que Ventora utilisera ce montant pour payer le solde de EUR 57 millions dû à la Gécamines (également assorti de 6% d’intérêt, soit EUR 60,46 million).

Concrètement, après compensation des dettes croisées, la RDC se sera endettée de 254,4 millions d’euros (soit 270 millions USD), la Gécamines percevra EUR 60,46 millions et Ventora gardera un solde de 194,4 millions EUR, soit 206 millions de dollars américains.

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